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Dans un parc de Bristol, un jour de grand soleil, et ces derniers temps c’était plutôt rare, il y avait un tas de gens : des gamins qui jouaient au football, d’autres sur l’aire de jeux, il y avait des parents qui les surveillaient, des personnes âgées qui lisaient. Bref, un cadre banal. Mais il y avait également beaucoup de jeunes. Certains jouaient de la musique, et bien d’ailleurs. Et puis il y avait eux : Jada et Pryce. Ils sortaient ensemble depuis un moment tous les deux, mais ça n’avait pas toujours été rose, les jeunes sont ce qu’ils sont. Ils étaient installés là, sous un arbre, l’un contre l’autre. Ils passaient de plus en plus de temps ensemble. Ils se disaient en couple, mais ce n’était pas comme si ils se comportaient toujours comme tel. Ils s’adoraient, c’était certain, mais comme tous jeunes ils aimaient faire la fête, et ça dégénérait toujours pas mal là-bas. Jada était une fille très appréciée, délurée, pour qui l’alcool n’avait plus aucun secret, et Pryce était toujours entouré de filles. Leur relation avait plus le statut de non-exclusif que de relation. Mais c’était comme ça que leur couple tenait. Si on devait juger leur attitude, on trouverait toujours une raison pour contredire : ce n’est pas sain ce qu’ils font, mais Jada avait besoin d’affection comme d’autonomie et d’espace. Elle vivait seule avec une mère alcoolique qui avait mis son père à la porte mais qui ne s’en remettait pas, et même si elle adorait sa mère, elle ne supportait pas rester à la maison, et préférait faire la fête que s’apitoyer sur son sort. D’ailleurs, elle avait rencontré Pryce dans une fête. Comme avec les autres, elle avait couché avec lui dans les toilettes – pas vraiment glamour – et si avec les autres ça ne s’était produit qu’une fois, avec lui ça n’avait pas été le cas. Et puis ils avaient appris à se connaitre un peu, dans une bande d’amis, sans trop chercher à comprendre. Peu à peu, même s’ils ne voulaient pas se l’avouer ils développèrent plus qu’une simple affection l’un envers l’autre : ils s’aimaient mais préféraient le nier. La tête appuyée contre le torse de son petit copain, Jada brisa le silence qui demeurait jusque-là intact :
« Ma mère a encore vidé toutes les bouteilles du bar. Elle gisait comme un cadavre sur le canapé. » Il n’y avait rien à répondre à ça, elle se contentait juste de parler, et il parlerait à son tour quand il trouverait quelque chose à dire.
« Elle fait pitié à voir… Elle pourrait jouer dans Resident Evil. » Puis, elle se retourna légèrement, pour faire face aux yeux bleus du jeune Eardley qui posa son regard sur elle.
« Je veux qu’on se marie. » Et il n’aurait pas le choix. Quand elle utilisait ce verbe, c’est qu’elle obtiendrait ce qu’elle désirait coute que coute.
« C’est cher le mariage… » Elle haussa les épaules :
« T’as qu’à te trouver un job. » Facile à dire, mais pas irréalisable. Cependant il hésitait.
« Tu sais on peu aménager ensemble sans être mariés si c’est ce que tu veux… » Mais plutôt que de lui donner une réponse, elle l’embrassa. Alors ils se marieraient, et il se trouverait un job. Desserrant leur étreinte, il demanda :
« Mais tu veux un mariage à l’église ? » Elle leva les yeux au ciel, et lâcha un soupir :
« Depuis quand Dieu est mon ami ? Ce que tu peux être con des fois… » Et elle se releva, ne cherchant même pas à retirer les feuilles mortes qui s’étaient accrochées à ses vêtements. Elle remit son sac en bandoulière et le regarda avant de lui dire :
« Salut. » Pas besoin de lui dire où elle allait, elle voulait juste aller ailleurs et seule. Mais ça suggérait qu’il devait s’occuper de tout ça.
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Un nouveau départ. L’aéroport était loin maintenant. Ils venaient de sortir de ce taxi qui les avaient conduits jusqu’à leur nouvel appartement de Philadelphie. Durant le trajet, ils avaient été silencieux. Jada n’avait cessé de faire tourner la bague à son doigt, pour s’occuper. Ils étaient à présent mariés. Ca n’avait pas été fait dans les règles de l’art, c’est à peine si sa mère était au courant et les parents de Pryce l’avaient plutôt mal pris, lui hurlant dessus qu’il épousait une trainée alors qu’il était encore à l’âge des couches. Sympathique. D’ailleurs c’était peut-être pour ça qu’il n’avait rien dit du trajet, et qu’il ne parlait pas de leur mariage. Il avait juste fait ce qu’elle avait voulu. Il avait travaillé après les cours, et il avait même cherché un appartement sur Bristol. Elle avait réservé une destination pour une sorte de lune de miel : l’Irlande. Mais un évènement avait bouleversé leurs plans : le coach de Pryce lui avait recommandé de continuer ses études à Philadelphie, il connaissait des personnes de confiance là-bas qui permettraient au garçon de réaliser son rêve. Alors ils étaient partis en Amérique. Ca n’enchantait pas vraiment Jada, mais elle l’avait suivi. Et ils emménageaient. Elle qui était plutôt indépendante avait peur de cette inconnue dans l’équation. Elle ne pouvait dire ce de quoi était fait demain. Elle ne connaissait rien ni personne ici, lui non plus, mais il avait l’école pour rencontrer des gens. Elle, elle n’était rien. Elle chercherait un petit job en espérant qu’il en fasse de même, ou ils ne s’en sortiraient pas. Heureusement Pryce avait mis de l’argent de côté. Là, ils y étaient. Ils rentraient dans leur nouveau chez eux, avec toutes leurs valises et sacs. Ca avait l’air confortable, très cosy même.
« Enfin arrivés ! C’était plutôt long… J’ai bien envie de me reposer… » Elle haussa les épaules balançant les sacs dans un coin.
« Si tu le dis. » Elle fit le tour des pièces. Alors qu’elle s’était attardée dans la salle de bains fixant le miroir devant elle, elle sentit deux bras l’entourer, et elle se défit immédiatement de l’étreinte de son mari. Ca faisait bizarre d’ailleurs de se considérer comme tels : mari et femme. Il ne comprit pas pourquoi elle venait subitement de s’éloigner, mais elle finit finalement par se jeter sur lui et l’embrasser, histoire qu’il arrête de se poser des questions.
Tout ça… c’était leur quotidien. Tout dépendait de l’humeur de la jeune femme. Ils étaient mari et femme, mais leur relation ressemblait étrangement à celle qu’ils avaient toujours eue : cette relation non-exclusive qui était éreintante autant pour l’un que pour l’autre. Mais ils continuaient. En apparence, ils avaient tout du petit couple parfait. D’ailleurs ils avaient rencontré pas mal de voisins et ils faisaient en sorte qu’on le croit. Une fois seuls, ils se parlaient à peine, couchaient ensemble si l’envie leur prenait ou alors ils sortaient. Elle savait très bien qu’il la trompait, elle faisait comme si elle s’en foutait, mais la réalité était toute autre. Alors elle faisait pareil. Pourtant, ils arrivaient quand même à se disputer malgré l’envie de feindre que tout allait bien. Il rentrait une nouvelle fois, tard, d’une fête après les cours. Elle avait fini le boulot à 2 heures du matin, il était rentré deux heures après. Elle regardait la télévision, elle l’attendait. Il rentra dans le salon, balançant son sac et sa veste sur un des fauteuils, et il se jeta sur le canapé à côté d’elle.
« C’était bien le boulot ? » lui demanda-t-il avachi, le regard figé sur le plafond. Elle ne lui répondit pas. Alors il se leva pour aller dans la cuisine. Là, il attrapa un coca et il en but une gorgée. Il remarqua qu’il n’y avait pas d’assiette en plus dans la vaisselle à faire. Elle n’avait pas mangé. Il était peut-être temps qu’il le lui dise ? Elle ne faisait aucun effort. Elle ne parlait pas, elle bossait, la période ressemblait trop à celle qu’ils avaient vécu avant. Ils étaient mariés et pourtant ils n’en avaient pas l’air. Il s’attendait à ce qu’elle tienne la maison, mais non rien n’était fait. Ils ne pouvaient pas continuer comme ça. De son côté il avait des choses à se reprocher également c’était certain, mais elle ne lui laissait pas le choix. Il revint dans le salon et remarqua qu’elle avait entouré un coussin de ses bras, et qu’elle semblait captivée par la reproduction des animaux à la télévision.
« Jada… il faut qu’on parle je crois… » Elle lui accorda qu’un maigre coup d’œil. Alors qu’il était prêt à discuter, il fit finalement marche arrière :
« On devrait peut-être investir dans une femme de ménage puisqu’on le fait pas… » Elle le regarda intriguée :
« Et pourquoi pas un homme ? » Il fit la moue, avant de se raviser :
« Laisse-tomber il est hors de question que tu baises avec lui sous mes yeux. » « Tu comptais faire pareil avec l’autre putain. » Dit-elle d’un ton détaché reportant son attention sur les animaux.
« Investis plutôt dans un lave vaisselle. Mais avec ta paye. C’est pas à moi à tout payer. » Il écarquilla les yeux de surprise :
« Quoi ? Mais tu payes pas tout arrêtes ! » Elle rit jaune :
« Si, je paye tes consommations d’alcool et toutes tes petites soirées, je me tue au travail pendant que toi tu t’amuses. » Il baissa la tête, avant de proposer :
« Et si on allait manger au resto demain ? » Il faisait toujours ça. Elle se leva, l’embrassa rapidement et lui fit savoir :
« Tu dors sur le canapé. Bonne nuit. » Le coup du resto ça marche jamais sur le moment.
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Après ses cours, Pryce allait toujours boire un verre avec certains de ses amis. C’était histoire de mettre un terme aux cours avant d’aller au boulot, une préparation mentale. Ils rentraient, saluaient les gens qui étaient là et parlaient de tout et de rien autour d’une table munis de bières. La conversation battait son plein, et l’un d’entre eux finit par lâcher une chose qu’il aurait peut-être du garder pour lui.
« Hey Pryce, t’as croisé Nagore ces derniers jours ? » Il but une gorgée et répondit :
« Non. Pourquoi ? » Il sourit et ne tourna pas plus autour du pot.
« Eh bien elle a un bon petit ventre rond maintenant. Je crois qu’elle est enceinte mec ! » Pryce blêmit, et il finit par rire nerveusement.
« Nagore enceinte ?! T’es sûr ? Elle a peut être juste pris un peu de poids non? Tu sais qui c’est son copain ? » L’autre secoua la tête.
« Je te jure qu’elle est enceinte elle a pas pris un gramme ailleurs, juste peut-être sur les seins… Et non, elle est toujours toute seule. Mais je sais que tu l’aimes bien, alors…C’est peut-être toi… » Pryce s’étouffa presque avec sa bière. Il contredit son ami tout de suite :
« Te fais pas d’idée là-dessus, je ne suis pas le père, je peux te l’assurer. D’ailleurs je vais de ce pas en avoir la confirmation. » Et il se leva, jetant un billet sur la table histoire de ne pas les laisser payer toutes les consommations, et il partit pour aller voir Nagore. Elle ferait mieux de lui donner des explications, en espérant qu’il y ait un mec dans sa vie.
Une fois devant chez elle, il sonna et attendit patiemment quoi qu’il n’en avait pas l’air, ne cessant de se passer la main sur le visage. Quand elle vint ouvrir, elle sembla surprise de le voir là. Alors il prit la parole :
« Hey, je peux rentrer ? Faut que je te parle. » Elle ne semblait pas encline à le faire, mais elle le laissa rentrer, sans dire mot. Une fois après avoir refermé la porte, elle demanda :
« Que me vaut cette visite ? » Il ne voulut pas y aller par quatre chemins, et entreprit de balancer tout ce qu’il pouvait rapidement.
« Tu as un copain ? Je veux dire j’espère que oui, parce que tu comprends j’ai appris que tu étais enceinte, et je me disais qu’il pouvait pas être de moi, mais je voulais en être sûr. » Après avoir vomi toutes ces paroles, Nagore se mit à sourire, comme si elle allait le rassurer.
« Il est de toi. » C’était tout autre chose en fait. Il blêmit de nouveau.
« Quoi ? Mais c’est pas possible. » Elle haussa les épaules :
« Si c’est tout à fait possible. » Il secoua la tête, horrifié par la nouvelle.
« Non, c’est pas possible, je me suis protégé j’en suis sûr à 100% ! » Elle ne cherchait pas à le convaincre mais désinvolte elle renchérit :
« Les accidents ça arrive. » Elle voulait lui faire péter un plomb apparemment.
« Nagore arrêtes tes conneries, je peux pas être le père ! Et puis je suis marié je te signale, et j’ai pas envie d’un gosse moi ! J’ai 20 ans bordel ! » Elle rit.
« Tu devrais te calmer tu sais. Je te demande pas de l’assumer. Il me fallait juste un spermatozoïde et c’est tout. C’est pas la mer à boire. » Interloqué, il ne semblait pas comprendre pourquoi son spermatozoïde, et il ajouta quelque chose de complètement stupide.
« T’aurais du me demander d’abord ! » Ce à quoi elle répondit du tac au tac :
« Bah sur le coup tu semblais plutôt d’accord pour me peloter. » Il s’impatientait mais cherchait à être diplomate.
« Ecoutes, je veux pas d’emmerdes, si Jada apprend que je suis le père, je suis dans la merde, et je veux pas non plus me dire que j’ai un gosse qui a pas de père tout ça parce que tu voulais un enfant. Je vais passer pour le méchant. Alors prends tes affaires et on va avorter. » Elle pouffa de rire, et pourtant ce n’était pas faute d’essayer. Elle lui tapota ensuite la joue et elle lui dit :
« C’est trop tard Pryce. Ca fait trois mois déjà. Mais ne t’en fais pas je vais bien m’en occuper. » Cette fois il explosa :
« Non ! Je m’en fous tu vas avorter, je veux pas avoir un gamin sur la conscience merde ! T’avais qu’à prendre tes pilules ! Putain les moyens contraceptifs c’est de la camelote ! Je m’en fous tu trouves un moyen, mais je veux pas de ce gamin. » Et il quitta les lieux. Pryce ne récoltait que ce qu’il semait.