JOEY-LEE « Je m'laisse pousser les rêves et je cours après les étoiles »

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Où je vais ? Je ne sais pas. J'arpente les rues sans but. Depuis combien de temps ? Je ne sais pas. Quelques minutes. Quelques heures. Peut-être. Ou peut-être pas. Pourquoi ? Je ne sais pas. Certainement parce que je n'ai pas envie de rentrer. Pas ce soir. Les souvenirs ont pris possession de mon âme. Sans demander mon avis. Je suis plongée dans mes pensées. Le monde qui m'entoure n'existe pas. Je suis sous l'emprise d'un sentiment que je n'aime pas. J'ai un goût amer dans la bouche. Des regrets à me foutre une balle dans la boite crânienne. Non, mon cerveau ne se dirige pas vers l'enfance. Je ne pense pas à cette époque où le bonheur entrait presque par effraction dans ma vie. À ce moment-là, les sourires enfantins illuminaient mon visage constamment. Mon rire s'entendait à des kilomètres à la ronde. J'étais une princesse, la capitaine du bateau, la reine des petits hommes verts. J'étais celle que je voulais être. Je refaisais le monde avec mon grand frère. Nos rêves n'avaient pas de frontières. Dans cette cabane, construite par notre beau-père on a cru au bonheur. On a vécu nos plus beaux moments dans notre refuge. Ça remonte si loin que c'est presque irréel. Pourtant, je suis certaine de l'avoir vu. Ce regard complice, ce sourire radieux, cette innocence. Je suis persuadée que je n'ai pas rêvé cette époque, celle où mon frère et moi étions liés, comme les deux doigts de la main.

Je pourrais penser au moment où les choses ont commencé à changer mais, ce n'est pas le cas. Certainement parce que, le changement ne m'a pas rendu malheureuse. J'ai vu mon frère changer. J'ai vu mon héros tout détruire sur son chemin. Je l'ai vu accompagné de filles qu'il regardait avec un tel mépris que c'était presque surréaliste. J'ai vu mon modèle rentrer ivre et j'en passe. Parce que tout ça n'a aucune importance. Il pouvait bien faire tout ce qu'il voulait, à mes yeux il restait le seul homme dans ma vie, ma raison de sourire, mon exemple à suivre. Pour moi, il avait toujours raison. Je n'étais pas folle à cette époque. Ni amoureuse de mon frère. Je le connaissais, voilà toute la différence. Derrière sa belle armure de chevalier, je savais qu'il avait un coeur plus gros que le monde. J'étais la seule à le posséder, ce coeur. La seule qui connaissait Jack aussi bien. C'est en sachant parfaitement qu'il était que je n'ai cessé de l'aimer. Mon grand frère, la clef de mes chaînes.

Le problème, c'est quand elle est arrivée. C'est dans les souvenirs là que je me plonge doucement alors que mes pieds avancent sans que je ne contrôle rien. Elle, c'est Lux. Ma meilleure amie. J'ai grandi avec elle. Nous étions toujours fourrées ensemble. Complémentaires, j'étais perdue sans elle et c'était réciproque. Elle croyait au prince charmant. Elle avait tout d'une princesse. Elle j'aurais voulu la protéger de tout, surtout de mon frère. Il n'avait jamais fait attention à elle. Il avait toujours été insensible à ses petites joues rouges quand elle le regardait, à son incapacité d'aligner le moindre mot quand il était dans la pièce. Dans le monde de Jack, Lux n'existait pas. Pourtant, un soir, je ne sais comment, je ne sais pourquoi, tout à changer. Elle lui a donné son coeur. Elle a fait la plus belle erreur de sa vie. Je lui ai dit. J'ai levé la voix. Mille fois j'ai hurlé mon mécontentement. Mille fois, j'ai essayé de lui faire comprendre que c'était une erreur. Personne ne voulait la voir avec mon frère. Elle a tourné le dos à tout le monde. Mais, elle n'avait pas compris. Elle n'avait pas compris que si je ne voulais qu'elle se donne à corps perdu dans une relation avec mon grand frère, mon héros, ce n'était pas parce qu'il était peu fréquentable ou quoique ce soit. Elle n'a jamais écouté mes raisons. Elle les a entendus, sans les écouter. Jack l'aimait sincèrement. C'était la seule femme qu'il n'a jamais aimée. J'ai même été jalouse de l'attention qu'il lui portait. Mais, Jack a toujours eu ce besoin de liberté. Ce n'était pas contre elle. Ce n'était pas plus fort que son amour pour elle. C'était simplement vital, un besoin constant qui coule dans ses veines, un manque qu'il ne pourra jamais combler. Je le savais parce que je ressentais la même chose que lui. Le besoin de partir loin d'ici, à l'aventure, sans un sou en poche, simplement parcourir le monde sans penser à demain. Oui, Lux avait elle aussi le coeur de Jack entre ses mains mais, la belle ne savait pas tout. Alors, il lui a brisé le coeur et je n'ai rien pu faire contre cela, si ce n'est sécher ses larmes. La consoler alors que moi-même je crevais de son absence. À son départ, j'ai perdu ma boussole. L'espoir de retrouver mon chemin ne tenait plus qu'à une promesse. Une promesse brisée et je me suis perdue.

Je me suis perdue et depuis je crois que je ne me suis jamais retrouvée. C'est con tout ça. La rue devient de plus en plus sombre. J'allume une énième cigarette. Je fume trop je sais bien. Le pire c'est qu'il n'y a pas que ça. L'alcool, la drogue, la baise, tout ça quoi. Ce sont les vestiges d'une vie de débauche, sans repères. Une vie durant laquelle j'aurais voulu qu'on réponde à mes questions. Mon père, c'était qui ? Il ressemblait à quoi ? Dis-moi maman, elle est où la tombe de papa ? Au fond, peut-être que je sentais qu'elle me mentait à son sujet. Peut-être, je ne sais pas. Toujours est-il que ses longs silences m'ont assassiné. Sans mon frère mon sécher mes larmes, sans personne pour soigner mon coeur blessé, j'ai mal tourné. J'ai commencé par lever la voix pour finir par ne plus adresser la parole ni à ma mère ni à mon beau-père. J'ai dépassé les couvre-feux pour finir par ne plus rentrer. J'ai fumé en soirée pour devenir accroc. J'ai bu quelques verres pour rire finalement, je passe mes soirées ivre morte sur un trottoir sans que personne ne se soucie de moi. La liste est longue, je n'ai pas fini d'énumérer mes conneries. Ma descente aux enfers. Quand je vois Jack, je me dis que c'est dans nos veines. Je sais pas, on doit genre avoir un truc en nous, qui nous pousse bêtement à nous détruire autant qu'on le peut. Cette époque, elle a duré trois ans. Trois années durant lesquels j'ai appris à détester le monde, à tout mépriser et à m'accrocher à une certaine réalité. Rien de très joli. Je me suis fait une armure d'acier parfumée à l'amertume et à la rancune. Trois ans pour enterrer l'enfance et l'innocence.

Les derniers mots que j'ai dit à ma mère n'étaient d'autres que : « je te déteste ». Je baisse les yeux tellement j'ai honte. Ô maman, si tu avais su combien je t'aimais. Je sens le poids des remords sur mes épaules alors que la dernière phrase dite à mon père résonne, malgré moi, dans mon esprit. « Tu n'es pas mon père ! » Non, biologiquement il ne l'était pas. Pourtant, c'était lui dans le lit de maman. Lui qui m'a élevé. Lui qui a construit la cabane dans le jardin. Lui qui m'a regardé grandir. Lui qui a veillé sur moi. Mon père pendant ce temps-là, il était où ? En taule, à sa place. Si je pouvais revenir en arrière je ne lui aurais jamais dit ça. Je n'aurais pas accepté trois semaines de silence. Mais, il est trop tard. Je suis humaine. Par conséquent, je suis stupide. Je ne me rendais pas compte de ce que j'avais. Pas avant de les perdre. Je rallume une cigarette. Les larmes montent à mes yeux. Je les ravale aussitôt. Je ne crois pas à une vie après la mort. Il est trop tard pour se faire pardonner. Ma seule option est de vivre avec mes remords, mes regrets puisqu'ils ne reviendront pas. Un accident de voiture et votre vie change à jamais. Un stupide accident et les fantômes du passé vous hantent pour ne jamais vous quitter. Un accident et les revenants arrivent.

Il est arrivé comme un cheveu sur la soupe, mon frère. Je lui en voulais. Comme jamais. Il m'avait abandonné. Brisé sa promesse. Mon coeur se remplissait de rancune rien qu'à l'entente de son prénom. Je voulais lui rendre la vie impossible. Je voulais qu'il se sente aussi mal que moi lorsque j'avais compris que j'étais seule, perdue dans le chaos de la vie. Je voulais lui retirer ses trois années de bonheur. Ses années de liberté. Il aurait dû les vivre avec moi. Je lui en voulais tellement, d'avoir été si égoïste. Le pire c'est qu'il n'y avait pas que ça. J'accumulais les raisons pour m'autoriser à le haïr, à lui en vouloir. La vérité c'est qu'en dépit des nombreuses raisons que je trouvais, je l'aimais toujours autant. C'était déroutant de voir en lui mon héros et mon bourreau. Son retour m'a fait mal, terriblement mal. Mon coeur semblait être en hémorragie permanente. Je crois que c'est cette douleur qui m'a empêché de lui pardonner ses erreurs. Je m'assois sur un banc. Le vent souffle dans mes cheveux. Mon regard se perd dans le vide alors que ma cigarette arrive au niveau de ma bouche. C'est vrai qu'on s'est rendu la vie impossible avec Jack. On ne s'est pas fait de cadeau quand j'y repense. On s'est craché des vérités au visage comme si nous n'étions capables que de ça. On se mettait des battons dans les roues constamment. J'essayais toujours de le sortir de sa putain d'indifférence. Je faisais n'importe quoi pour qu'il remarque. Pour que mon comportement le dérange. On se faisait mal parce que nous ne savions plus comment nous aimer.

« T'as une cigarette ? » Cette façon de parler, sans la moindre politesse, avec mépris. Je vais lui éclater les dents. Non, je ne connais pas ce type. Il me rappelle Ezra. Je me lève pour repartir en l'ignorant royalement. J'ai mal. Rien que de repenser à lui j'ai le coeur qui crève. Je suis mieux sans lui. J'ai bien fait de le quitter. J'allais droit dans le mur avec lui. J'essaye de m'en convaincre jour après jour. J'aimerais tellement y croire mais, non. J'ai beau dire, je l'aimais. Je ne dis pas que c'était tout beau tout rose bien au contraire. C'était un amour destructeur et dégelasse. C'était complètement fou et aussi stupide que la guerre en Irak. Je sais tout ça mais, ça vient de l'intérieur, ce n'est pas comme si je choisissais. Ezra, une gueule d'ange, un vrai trou du cul, enfant pourri gâté qui s'est juré de ne pas jamais tombé amoureux. Il détruit tout ce qu'il y a de beau autour de lui. Il aime les champs de ruines et c'est ce qu'il a fini par faire de moi. Je ne peux pas me plaindre, je l'ai voulu. Je lui ai mon innocence. J'ai joué de lui. Je lui ai donné mon coeur. J'ai couru à ma perte et j'en avais conscience. On avait un jeu malsain lui et moi. Même quand il a pris fin, ce jeu, même quand nous avons décidé d'être un couple, on se détruisait. Il était possessif et jaloux alors qu'il m'était infidèle. Je me souviens de notre dernière dispute. Je me souviens de la dernière gifle qu'il m'a donnée. Jack n'en a jamais rien su, heureusement. Mon frère a toujours détesté Ezra. Il lui a déjà foutu son poing dans la gueule. De toute façon pour mon frère, aucun mec ne me mérite. À croire qu'il me veut vieille fille. Enfin, Ezra et moi c'est fini maintenant, il faut que je tourne la page. C'est dur d'oublier quelqu'un qu'on a aimé.

Je me mets à courir, comme pour fuir mes propres pensées. Je suis assailli par ce passé. Je veux tout oublié. Non je ne veux plus me souvenir. Je manque de me faire renverser par une voiture. Je n'ai même pas un sursaut. Quand je suis plongée dans le passé je me dis souvent que vivre ou mourir, ça n'a pas vraiment d'importance. Je finis par m'arrêter dans une ruelle bien glauque. Je m'assois. La tête entre mes mains, j'aimerais hurler. Je ne comprends pas pourquoi le passé revient toujours à la charge puisqu'on ne peut le changer. Je joue avec mon briquet mes yeux brillent devant la flemme qui danse. J'ai le souvenir de cette maison dans laquelle nous avons grandi Jack et moi, aujourd'hui elle n'est que poussière. Plus de murs fissurés à force de portes claqués. Plus de traces au plafond. Plus de tâche faite à la javel pour enlever le vomi sur les tapis. Plus de couleurs ignobles sur les murs. Non, vraiment il ne reste rien de tout ça. Les murs ne détiennent plus nos secrets. Tout est parti en fumée, comme si rien n'avait jamais existé. J'aurais dû avoir le coeur serré face à cet incendie. Ressentir un vide. Pleurer. Être abattue ou je ne sais quoi mais, je ne me suis jamais sentie aussi libre que ce soir-là. Soudainement, plus rien ne me retenait dans ce village bien trop petit pour mes rêves. Les gens avaient si peu d'importance, j'avais mon grand frère, mon Jack et c'est tout ce qui comptait. Nous avons pris la route le coeur léger. C'était la première fois depuis longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi proche de mon frère. J'avais retrouvé mon héros.

Pendant six mois, nous avons vécu notre rêve. Nous vivions sans penser à demain. On allait d'un bout à l'autre des Etats-Unis. Cette période était magique. Six mois pendant lesquels j'ai retrouvé mon frère. Certes, l'enfance est bien loin, elle s'est envolée mais, notre amour est resté. J'ai dû lui refaire confiance. J'ai dû croire en lui. Il a dû m'écouter. Il a dû me supporter. En un rien de temps, il avait repris sa place dans mon coeur bien que je faisais tout pour le cacher. Durant ce périple, il était le seul à qui je pouvais confier mes doutes, mes peurs, mes rires et mes pleurs. Au fil du temps, je m'endormais à nouveau sur son épaule. Au fil du temps je retrouvais ses bras protecteurs. Je ne dis pas que tout s'est arrangé d'un coup de baguette magique non. Bien au contraire, mais, nous sommes à nouveau comme frère et soeur, non plus comme chien et chat.

Puis, nous nous sommes installés ici. Allons-nous y rester encore longtemps ? Je l'ignore. Nous n'avons pas d'attache de toute façon. Nous avons cette liberté et ce dont de se foutre de tout. Je suis bien ici, si je mets « lui » à part. Lui, c'est celui dont je ne veux même plus prononcé le prénom tant il m'horripile. Lui c'est le seul mec qui a réussi à se lier d'amitié avec mon frère. Lui c'est ce mec incroyablement séduisant et bien trop sage. Lui c'est ce mec qui s'entête à m'appeler par mon prénom complet. Lui, il me regarde avec une affection débordante. Lui, il aimerait me protéger du monde. Lui, il ne veut pas se contenter de baiser avec moi. Il est pur. Il a quelque chose d'angélique. Il est trop sain pour moi. Je déteste qu'il me fasse comprendre ses sentiments parce que je ne serais jamais pour lui. Je ne suis pas une fille bien. Je ne le mérite pas. Et puis, je ne veux pas d'amour fade, plat, romantique sans vagues. Je ne suis pas faite pour ça. Je ne veux pas être faite pour ça. Je ne veux pas tomber amoureuse de lui. Je ferais de sa vie un enfer jusqu'à le rendre gay s'il faut.