crossroads coffee house → family meeting [R.]

Trois semaines. Cela faisait presque trois semaines que la jeune Helgeson avait remis les pieds en Pennsylvanie et elle n'avait daigné prévenir personne en dehors de son père et Solstÿs. Si elle agissait ainsi, c'est qu'elle souhaitait éviter toute confrontation avec son entourage. Elle savait que son père comprendrait, il avait toujours su trouver les mots justes et jamais n'avait haussé le ton en présence de sa petite fille. Il était l'homme le plus important de sa vie et s'il venait à lui arriver quelque chose un jour, elle s'en voudrait éternellement de s'en être allée et de n'avoir pas passé davantage de temps à ses côtés. Alors oui, bien qu'elle fût assez hésitante dans un premier temps, elle n'hésita cependant pas à annoncer son retour à Monsieur Helgeson. Elle trouva donc un petit boulot pour avoir de quoi subsister. Son père avait bien insisté pour lui obtenir un meilleur job que celui de serveuse dans un petit café, mais Janae refusa. Elle accepta cependant son aide quand il lui proposa de lui dénicher un petit appartement dans le quartier de Roxborough et de l'aider à payer son loyer. Trois semaines donc, et personne à part son père et sa grande amie, Solstÿs, n'était au courant de son retour après presque sept années d'absence... Sept années d'absence, sept années en Californie qui avaient fait d'elle une toute nouvelle personne. Elle n'était plus cette petite fille calme, pudique et qui n'osait s'imposer pour obtenir ce qu'elle souhaitait. Aujourd'hui, c'était une jeune femme forte, expansive et forte de vie que les clients du 'Crossroads Coffee House' avaient en face eux. Elle sortait, faisait la fête, rentrait parfois à pas d'heures. Elle était métamorphosée, méconnaissable. Deux semaines qu'elle travaillait donc dans ce café où elle était appréciée, où elle aimait passer du temps avec ses clients. Les dits clients qui raffolaient de ses plaisanteries, de ses petites anecdotes toutes aussi folles les unes que les autres mais aussi et surtout de sa bonne humeur intarissable. Aujourd'hui encore, elle avait renvoyé des clients satisfaits espérait secrètement qu'aucun de ces derniers n'aient un lien quelconque avec elle. Ces personnes qu'elle ne voulait pas croiser avant un petit moment était William - s'il habitait encore dans cette ville - et Ty Helgeson, son aîné. Bien qu'elle n'ait jamais été très proche de lui, elle tenait à tout prix à repousser la date de leur rencontre. Elle ne saurait de quoi lui parler. Elle ne saurait par où commencer. A vrai dire, elle pensait même que son retour ne lui ferait ni chaud ni froid. Elle se détestait de penser ça, mais quand votre frère ne vous a montré aucun signe d'attachement, vous finissez par vous dire que vous ne manquerez jamais à cette dite personne. Quoiqu'elle puisse penser ou dire, dès son retour, la jeune femme s'enquit de prendre des nouvelles de son grand frère qui lui avait tout de même pas mal manqué. Enfin, quand on parlait du loup... Alors qu'elle servait un énième client et attendait patiemment que vienne l'heure de boucler ses affaires et de rentrer chez elle, une personne qui lui était plus que familière fit irruption dans le café. « Et merde. Ty... Bills, tu pourrais t'occuper du grand brun, là-bas? Je... J'ai un autre client à servir. » Sa collègue acquiesça avant de lancer: « Je comprends, une ex-conquête? Un air de dégoût se dessina sur le visage de Janae. Bon sang, c'était son frère. « Eww non, qu'est-ce que-? Non, juste... Occupe-toi de lui! » Elle se fraya un chemin derrière le comptoir pour aller servir sa boisson à un client, elle trébucha et entraîna le plateau dans sa chute. Le client s'écria « Hé, mon café! » « Merci de vous inquiéter, moi ça va très bien. En revanche, on ne peut pas en dire autant de votre café adoré. » répliqua-elle, l'arrière-train toujours cloué au sol. Elle avait provoque une scène par peur d'être confrontée à Ty. C'était d'un ridicule. « Tu es désolante, ma pauvre Helgeson. » Oups, le Helgeson était peut-être de trop...

S’il y avait une chose que Ty détestait, c’était bien les déjeuners en famille. Ce Mardi néanmoins, il ne semblait pas qu’il allait en échapper. Son père avait déjà appelé deux fois ce matin, laissé trois messages hier soir. Certes, s’il ne lui forçait pas la main ainsi, il ne se montrerait jamais, mais ça restait tout de même assez agaçant. Non pas qu’il n’apprécie pas ses parents, loin de là, il leur était reconnaissant tous les jours, mais leur entêtement à ne jamais perdre contact avec lui, ne serait-ce que pour une courte semaine, avait fini par le lasser après trente ans. Parfois il se demandait si un jour il se mariait, si ses parents voudraient toujours le voir venir déjeuner avec eux tous les deux ou trois jours. Décidément pour eux ce n’était pas l’âge qui importait, la situation encore moins. Il avait profité d’une certaine liberté durant un court moment, et puis sa petite sœur avait décidée de déménager en Californie, abandonnant ses parents seuls dans leur grande maison à Roxborough. Depuis les choses s’étaient envenimés pour lui. Ses parents, sortis de nulle part, s’intéressaient soudainement à sa vie, à ses amis, à ses relations amoureuses. Un jour ils l’avaient même invité à revenir vivre avec eux, prétextant que les dépenses de l’appartement à Old City étaient élevées, comme si tout à coup la famille Helgeson se souciait de l’argent qu’ils déboursaient. Parfois il se disait que sa sœur avait bien fait de quitter l’état, il pensait même à faire pareil, ne serait-ce que pour un moment. Mais contrairement à Janae, il avait une certaine obligatoire envers son père, son travail, sa petite amie. Ce n’était pas le genre à tout quitter sur un coup de tête, encore une chose qu’il n’avait pas en commun avec sa sœur. Ce jour-là il s’était levé de bonne heure, alerté par la deuxième sonnerie de son téléphone ; son père qui appelait pour avoir de ses nouvelles concernant le déjeuner, précisant que Ty devait arriver plus tôt parce qu’il devait lui parler affaire d’abord. S’il y avait quelque chose que Mme Helgeson détestait, c’était bien que son mari discute de son travail à table. Forcément après des décennies de mariage, il avait appris la leçon. Incapable de refermer les yeux, Ty s’était donc levé, douché, habillé puis était directement sorti. Arriver plus tôt pour son père voulait dire au minimum 2h en avance, le temps qu’il s’installe dans le jardin, allume son cigare et admire les environs durant un bon quart d’heure. Mais étant donné l’heure, Ty avait décidé qu’il s’arrêterait pour un café histoire de sortir un peu de sa stupeur avant de devoir confronter ses parents. Il fit donc un léger détour par le café où il venait généralement lorsqu’il était à Roxborough, Crossroads Coffee House. La ligne était plus ou moins longue, mais s’était toujours mieux que l’image de son père entrain de rouler son propre cigare. Il ne faisait pas vraiment attention aux alentours et avançait pas à pas vers le comptoir lorsque le bruit d’un plateau s’écrasant à terre attira son attention à sa gauche. Non loin de lui, une blonde, cheveux relevés venait de trébucher et était désormais assise à même le sol. Le service n’était peut-être pas aussi bon qu’il le croyait ici après tout car l’inconnu en question était clairement une serveuse à en juger par sa tenue. La ligne avait cessé d’avancer et tout le monde observait désormais l’accidentée. Ty ne fit pas réellement attention à ses paroles jusqu’à ce que le nom ‘Helgeson’ résonne à ses oreilles. Il se fraya un chemin en direction de la blonde jusqu’à arriver directement derrière elle et lui tendit la main afin de l’aider à se relever, se penchant en sa direction pour se rendre compte qu’il s’agissait en réalité de sa sœur. « Janae ? » Il attendit qu’elle se redresse sur ses pieds pour poursuivre. « Quelque tu fais là ? Je croyais que t’étais encore en Californie. » Il l’observa un instant, essayant de comprendre ce qu’elle pouvait bien faire à quelques pâtés de maison de chez eux, dans une tenue de serveuse. Les yeux de Ty s’écarquillèrent. « J’espère que papa est au courant que tu es en ville parce que si ce n’est pas le cas tu ferais mieux de l’appeler, tout de suite ! » Il savait à quel point son père et Janae étaient proches et de toutes les personnes auxquelles il avait pensé à l’instant, il fut le premier qu’il retint. Mr. Helgeson ne s’en remettrait pas si sa fille ne lui avait pas appelé à la seconde où elle avait remis le pied à Philadelphie.

La discrétion n'était apparemment pas le fort de la jeune femme. Voyant que personne n'avait l'air décidé à l'aider, elle se dit qu'il fallait qu'elle se relève d'elle-même jusqu'à ce qu'une main ne se tende à elle. Une main qu'elle lâcha aussi vite qu'elle ne l'eût attrapée avant de se relever. Le Ty qu'elle voulait éviter était juste là en face de lui. Elle avait souhaité être invisible, passer incognito, mais elle avait fait le contraire en attirant l'attention sur elle. Elle scruta la salle du regard et presque tous les têtes étaient tournées vers elle. Rien de bien étonnant. Se sentant mal à l'aise, elle s'écria soudainement: « C'est bon, le spectacle est terminé, il n'y a plus rien à voir! » Elle ramassa le plateau qui traînait encore sur le sol et avait oublié, l'espace d'un instant, que son frère se tenait à quelques pas d'elle et qu'il attendait une réponse à sa question. Ce n'est que quand elle l'entendit l'appeler par son prénom qu'elle réalisa. « Ty. Je reviens tout de suite. » Elle esquissa un sourire gêné se demandant comment elle allait bien pouvoir s'y prendre pour éviter une confrontation sur son lieu de travail avant de s'éclipser avec le plateau placé sous le bras. Après avoir tout remis en ordre, elle se dirigea d'un pas décidé vers Ty, attrapa son bras et l'invita à s'asseoir à une table. Elle saisit la chaise et s'assit juste en face de lui. Il lui aura fallu quelques minutes pour répondre à la question de son aîné. « Non, comme tu peux le voir, je ne suis pas en Californie. Je ne suis pas un hologramme, ni un esprit. C'est moi, Janae, ta sœur, en chair et en os. Comment ça va depuis le temps? » demanda-t-elle comme si de rien n'était. Elle revenait de Californie, elle s'était absentée pendant sept années sans même prévenir qui que ce soit - du moins, pas Ty - et elle s'évertuait à agir comme si elle n'avait jamais quitté Philly. Sauf qu'elle était persuadée que pas mal de choses avaient changé depuis le temps. Après tout, elle aussi était devenue une toute autre personne. « Oui, chef! Tout de suite, chef! Evidemment qu'il est au courant. » répliqua-t-elle sur le ton de la plaisanterie. Avant d'ajouter: « Et puis, joue pas au grand frère avec moi, t'as jamais été très doué pour ça, tu sais. C'est pas maintenant que tu vas commencer. D'ailleurs même s'il n'était pas au courant, cela ne regarde que moi. Je vis ma vie comme bon me semble, alors bon les conseils de grand frère ou je ne sais quoi, j'en ai rien à faire. » Elle regrettait déjà ses paroles, mais d'un autre côté, il est vrai qu'elle s'était toujours demandée, étant plus jeune, si son frère l'aimait vraiment. Rares étaient les fois où ils échangeaient des paroles. Bien évidemment, elle savait qu'elle ne pouvait accuser Ty de tous les torts même si c'était bien plus simple comme ça. Elle savait que ce qui avait causé leur éloignement au fil des années était sa timidité. Elle ne parlait pas beaucoup, passait la plupart de son temps le nez dans un bouquin et la seule personne qui était, en quelque sorte, immunisée contre la timidité de la jeune Helgeson était son père. De Ty, elle ne savait rien. Elle le connaissait aussi bien que les habitués du café où elle travaillait depuis seulement trois semaines. Elle savait qu'il était son frère, c'était déjà ça, non? Elle regrettait amèrement de ne pas avoir cherché à se rapprocher de lui. Elle aurait adoré partager un lien très fort avec lui. Elle aurait voulu qu'il soit à ses côtés, qu'il l'interdise de s'approcher trop près des garçons, qu'il la protège, qu'il joue son rôle de frère aîné, en somme. Elle sourit à cette idée, mais reprit ses esprits rapidement. « Ça va faire trois semaines que je suis de retour, d'accord? Papa est au courant, il m'aide à payer mon loyer. Comme tu peux le voir, je suis serveuse dans ce café, la Californie, c'était génial. Tout va pour le mieux. Ceci dit, il y a pas mal de clients, nous sommes débordés, donc je vais aller aider mes collègues. Oh, merci d'être passé au Crossroads Coffee House. Nous vous souhaitons une agréable journée. » dit-elle avant de tourner les talons en direction du comptoir.

Elle l’évitait, forcément. Ty ne trouva rien d’autre à faire si ce n’est soupirer lorsque Janae s’éclipsa, le plateau entre les mains. Il ne la comprenait pas, il ne l’avait jamais comprise, c’était l’une des nombreuses raisons pour lesquels il ne prenait pas la peine de lui parler. Leurs discussions ne menaient jamais nulle part, elles étaient courtes, sans intérêt, maladroites, semblables à celle de deux inconnus vivant sous le même toit. C’en était presque triste. Ils avaient beau partager les mêmes gènes, ils n’auraient pas pu être plus différents l’un de l’autre. Pourtant aussi loin que Ty s'en rappelle, il avait été très excité à l’idée d’avoir une petite sœur. Qui aurait cru que ça tournerait si mal ? Elle n’était rien de ce qu’il imaginait, et ça l’avait agacé enfant, tellement qu’au fil des années, il avait fini par la mettre à l’écart, complètement, et peut-être n’était-ce pas une bonne chose après tout. Il attendit patiemment qu’elle revienne. Debout au milieu du café, mal à l’aise, il observa les clients revenir à leurs commandes, à leurs boissons et enfin arrêter de suivre Janae, qui se dirigeait vers le comptoir, des yeux. Des minutes défilèrent, des minutes qu’il aurait pu passer à commander son café et le boire, et enfin elle réapparut. Il se laissa faire lorsqu’elle l’attrapa par le bras et l’entraîna jusqu’à une table non loin d’eux. Il prit place et attendit qu’elle fasse de même, la fixant avec insistance pour qu’enfin elle finisse par répondre à sa première question. Son humour était toujours aussi mauvais qu'il y a sept ans auparavant. « Je me doute que tu n’es pas un hologramme Jen, arrête de tourner autour du pot. » Il souffla une nouvelle fois, tout d’un coup il se rappelait comme les conversations avec elle étaient une vraie plaie. Par courtoisie néanmoins, il continua, cette fois-ci d’un ton un peu plus calme et amical. « Comme tu peux le voir, je vais très bien, je te remercie. » Bien sûr qu’il allait bien, pourquoi ça n’irait pas ? A l’entendre on croirait qu’elle n’avait plus eut de nouvelle de son frère depuis des années, pourtant leurs parents leur servaient d’intermédiaire, lui par exemple savait qu’elle allait très bien, et au dernière nouvelle, qu’elle habitait toujours San Fransisco. Peut-être que son père n’était pas aussi fiable qu’il l’aurait cru après tout. Bien sûr qu’il savait, il n’était pas proche de Janae pour rien. L’espace d’un instant Ty se demanda pourquoi son père ne lui avait pas dit que sa sœur était revenue à Philadelphie, sans donner aucune nouvelle d’elle à personne. Quelle remarquable sœur elle faisait. Les paroles de Jen contrarièrent un peu Ty, il est vrai qu’il n’avait jamais vraiment rempli son devoir de grand frère, mais quelle adolescente de 16 ans le voudrait ? Il restait en dehors de ses affaires, tout comme elle ne se mêlait pas des siennes, et il croyait que la jeune fille se portait très bien comme ça. Il répondit d'une voix lassée « Bien sûr, tu es une grande fille, tu peux prendre tes décisions toi-même. J’ai déjà entendu ce discours. » Plus d’une fois en réalité, mais jamais adressé à lui, c’était en grande partie à leur mère que Janae s’en prenait. Évidemment c’était le discours que chaque adolescent avait déjà fait à ses parents au moins une fois dans leur vie. Peut-être le problème justement était-il qu’il la voyait encore comme l’adolescente complètement perdue qu’elle était avant, mais ce n’était pas sa faute si à vingt-quatre ans, Janae avait toujours la morphologie d’une gamine de dix-huit ans. Ces traits étaient bien trop enfantins pour qu’on la prenne au sérieux. Ty examina sa sœur tandis que celle-ci poursuivait dans ses paroles, elle n’était pas aussi bavarde dans ses souvenirs, ni aussi arrogante mais c’était tant mieux pour elle, peut-être qu’ils allaient finalement pouvoir avoir une conversation digne de ce nom maintenant. « …merci d'être passé au Crossroads Coffee House. Nous vous souhaitons une agréable journée. » Ty était éberlué. Il resta immobile un instant tandis que son interlocutrice s’éloignait de lui avant de se lever brusquement pour la rattraper. Il se hâta jusqu’à elle et l’attrapa par le bras en la forçant à le regarder de face, puis la lâcha lorsqu’elle s’immobilisa. « Tu quittes la ville pendant six ans sans nouvelles et c’est tout ce que tu me donnes ? On n’a peut-être jamais été très proches mais je reste ton frère. Alors tu vas dires à ton patron que tu prends une pause et tu vas aller reposer ton jolie petit derrière sur cette chaise qu’on ait une petite discussion, comme deux frères et sœurs normaux qui se retrouvent. » Impérieux, mais pas dur. Il aurait sans doute pu lui demander autrement, mais il lui faudrait un peu plus de temps pour faire mieux.

Et bien... si Janae était décidée à ne pas prononcer un mot de plus quant à cette histoire de retour, Ty, de son côté souhaitait absolument avoir une discussion avec sa jeune sœur. En effet, après qu'elle eut pris l'initiative de tourner les talons pour retourner à son travail, il la suivit, la força à s'arrêter et à entretenir une discussion avec lui. Tout d'abord surprise par ce changement brusque de comportement, elle finit néanmoins par accepter après son petit 'discours' de grand frère. « Tu quittes la ville pendant six ans sans nouvelles et c’est tout ce que tu me donnes ? On n’a peut-être jamais été très proches mais je reste ton frère. Alors tu vas dire à ton patron que tu prends une pause et tu vas aller reposer ton jolie petit derrière sur cette chaise qu’on ait une petite discussion, comme deux frères et sœurs normaux qui se retrouvent. » Même leur père était moins autoritaire. Elle leva les yeux au ciel quoiqu'amusée par la situation. Elle n'avait jamais vu Ty se comporter ainsi. Il n'avait pas à lui dire ce qu'elle avait à faire. Surtout pas maintenant. Il avait eu l'occasion de jouer le rôle du grand frère pendant des années, mais il avait laissé passer sa chance. « Qu'est-ce que ça peut te faire? Si ça t'intéressait un tant soit peu de prendre de mes nouvelles, t'aurais décroché le téléphone et t'en aurais pris. Tu ne me ferais pas une scène, là, tout de suite sur mon lieu de travail alors que les clients s'impatientent. Le problème, Ty... c'est que nous ne sommes pas des frères et sœurs 'normaux'. » dit-elle, en mettant l'accent sur les derniers mots. Elle n'arrivait pas y croire. Il lui disait que ce qu'elle était devenue ces dernières années l'intéressait à présent?! C'était chose inimaginable. S'était-il passé quelque chose durant ces quelques années d'absence qui avait fait que Ty s'était décidé à agir comme tel? Elle avait grandi, elle avait mûri, elle se disait qu'elle n'avait plus autant besoin de lui. Peut-être se trompait-elle. . Elle secoua la tête, effarée, et prit la direction du comptoir sans que Ty ne la suive, cette fois-ci. Elle alla voir son patron et lui expliqua rapidement la situation. Elle attendit sa réponse avec impatience et enfin, « Allez-y, prenez votre journée. Vous le méritez. » Son patron était un homme aimable. Certes, il pouvait se montrer stricte dans le cadre du travail, mais il dégageait cette sérénité dans d'autres moments, cette joie de vivre qui avait décidé Janae à accepter le boulot dans ce café. Et même si son père avait bien tenté de la raisonner et souhaitait à tout prix lui offrir un job bien plus convenable, digne de sa petite fille chérie comme il aimait à le répéter, elle avait fini par le convaincre - après maintes discussions - qu'elle se sentait bien dans cet endroit. Elle offrit un sourire gêné à son patron et le remercia. « Vous m'en voyez désolée, je ne pouvais pas refuser. Pour être sincère, j'espérais au fond que vous n'accepteriez pas ma requête. Ceci étant dit, je crois que nous avons besoin de nous retrouver avec mon frère. Enfin, merci beaucoup. Je vous revaudrai ça. En venant plus tôt au travail, bien entendu. » Elle laissa échapper un soupir tout en se débarrassant de son petit tablier, attrapa son sac et alla de nouveau retrouver son frère qui était assis à cette même table où ils avaient échangé leurs premiers mots. Ah, la table de leurs retrouvailles. Elle croisa les bras et s'appuya sur le dossier de sa chaise jetant parfois des coups d'œil furtifs aux passants par la vitrine. Alors comme ça son père n'avait pas parlé à Ty du retour de Janae. Certes, elle lui avait demandé de ne rien lui dire, mais elle s'attendait tout de même à ce qu'il raconte tout à Ty. Ce qu'il ne fit apparemment pas. « Bon... de quoi est-ce que tu souhaiterais parler? Les amis, les amours, ça va? Tout se passe bien? Oh, t'as changé de coupe, c'est différent. T'as pris de l'âge. Et du poids aussi. Faut faire attention à ce que tu manges. Le travail avec papa, comment c'est? Tu as une petite amie? Tu es mariée? Tu as des enfants? Peut-être que papa ne m'a pas tout dit. Les- » Elle fixa son frère qui n'avait pas l'air d'être de bonne humeur. Décidément, il ne plaisantait pas. Chose certaine: leurs retrouvailles n'allaient pas être des plus calmes ou des plus agréables. Avait-il seulement écouté un mot de ce qu'elle lui avait dit? Ou était-il bien trop occupé à l'insulter mentalement de tous les noms? La reste de la matinée s'annonçait mouvementé.

Décidément, Janae était bien moins docile qu’il y a sept ans. Non pas qu’il lui ait jamais donné d’ordres avant aujourd’hui, et non pas que ces paroles étaient supposés être des ordres, mais tout de même. Aussi loin qu’il se rappelle, elle ne lui avait jamais tenu tête avant aujourd’hui, ou peut-être que sa mémoire n’était pas aussi bonne qu’il le croyait. Son ton était dur, presque rancunier, comme si tout à coup elle lui en voulait de ne pas s’intéresser à sa vie. Si tel était le cas, il lui suffisait de le dire avant. Ty n’avait jamais été quelqu’un d’autoritaire, et il ne le serait sans doute jamais, il avait toujours été spécialement détaché lorsqu’il s’agissait de sa sœur, mais ça c’était une question d’habitude. Et apparemment ça faisait d’eux ‘des frères et sœurs anormaux’. L’écho de cette dernière phrase raisonna dans la tête du jeune homme tandis que la jeune blonde lui tournait le dos une nouvelle fois. Il ne répondit pas, parce qu’il n’avait rien à répondre, il ne la rattrapa pas parce qu’il ne savait pas quoi ajouter. Les idées se bousculaient dans sa tête. Peut-être qu’elle avait raison. Peut-être qu’il aurait dû l’appeler ne serait qu’une fois, mais il était trop occupé à gérer sa propre vie pour s’intéresser à celle d’une personne à 4000km de lui. Une personne tout de même qui se trouvait être sa sœur. Il se rappela que l’idée de lui téléphoner lui avait traversé l’esprit à un moment puis il s’était dit qu’ils n’auraient rien à se dire, comme ils ne trouvaient rien à se dire face à face et avait juste demandé de ses nouvelles via leurs parents. C’était suffisant, du moins c’est ce qu’il croyait jusque là. Finalement peut-être que Janae avait raison de lui en vouloir. Il l’observa le temps d’une seconde discuter avec son patron, du moins ce qu’il imaginait être son patron, puis profita de ce moment pour commander deux cafés. Il indiqua la table derrière lui à la serveuse et alla s’y installer en attendant le retour de Janae. Il n’avait pas vraiment de doute que son patron lui accorderait une pause, pas après la scène qu’ils venaient de faire. Ty eut une dernière pensée pour son père qui l’attendait à la maison, mais il la balaya d’un geste de la tête. Il n’irait pas à ce déjeuner, ou du moins pas sans Janae. Elle avançait désormais une nouvelle fois en sa direction, tablier retiré, sac à la main. Il ne comprenait pas vraiment pourquoi elle était serveuse dans un café minable quand son père avait assez d’argent pour nourrir une famille de 30 enfants. Elle s'assit et encore une fois, se mit à palabrer pour ne rien dire. Était-ce une nouvelle manie, ou juste une autre façon de lui dire qu’elle ne souhaitait pas lui parler ? Ty resta muet, la fusillant d’un regard réprobateur, déjà lassé au bout de la deuxième question, attendant patiemment qu’elle le laisse en placer une. Quand elle s’interrompit enfin, Ty soupira. Il se redressa sur sa chaise, s’adossant contre le dossier. « Jen, je ne comprends pas. Je croyais que ça t’arrangeait que je ne me mêle pas de ta vie comme ça m’arrange que tu ne te mêle pas de la mienne. On était bien comme ça, alors pourquoi tu en fais tout un plat maintenant ? C’est pas comme si on était très proches quand tu es partie, et ce n’était certainement pas au téléphone qu’on allait nouer. » Un silence s’était tout à coup installé, les deux cafés commandés quelques minutes plus tôt venaient d’être servis et Ty n’avait jeté qu'un regard très furtif à son gobelet avant que ses yeux ne se reposent sur Janae en attente d’une réponse. Ce qu’il venait de dire n’était peut-être pas digne d’un frère mais c’était la vérité, et c’était ce qu’il pensait, peut-être avait-il tord mais si c’était le cas il voulait le lui entendre dire directement au lieu de l’attaquer comme elle le faisait.

Il était très calme pour quelqu'un qui affirmait vouloir discuter afin de régler leur différend. Il est vrai qu'elle ne le laissait que très peu parler et passait son temps à poser des questions sans queue ni tête ou à l'accuser de tous les torts, mais quand même! Oh, la voir s'exprimer ainsi sans mâcher ses mots devait aussi être surprenant pour Ty. Il ne l'avait jamais vu agir de la sorte. Il l'avait rarement vu lui adresser la parole pour être exacte. Depuis qu'elle était revenue, tout cela avait changé. Elle est à présent un vrai moulin à paroles. Elle parle souvent pour ne rien dire, elle brasse du vent, il est quasiment impossible de l'arrêter. Ty prit de nouveau la parole. Jen. Il était le seul être au monde à l'affubler de ce sobriquet. Elle ne connaissait personne à part lui qui l'appelait ainsi. Que ça l'arrangeait qu'ils agissent comme deux inconnus habitant sous le même toit? Et puis quoi encore? Elle n'était qu'une enfant et elle ressentait le besoin de savoir qu'il serait là pour la protéger si son père était absent, s'il venait à lui arriver quelque chose. Il n'en pensait pas autant, à première vue. Il avait certes raison, il ne pouvait créer des liens par téléphone, mais un simple appel aurait rassuré la jeune femme de l'époque. Elle se serait alors dit qu'il ne l'avait pas totalement effacé de sa vie. Elle secoua de nouveau la tête signe qu'elle était exaspérée par le fait que son frère ne comprenne rien à ce qu'elle avait - maladroitement, très maladroitement - tenté de lui expliquer. Après le petit discours de Ty qui lui semblait insensé, aucun d'entre eux ne dit mot. Un silence régnait autour de la table qu'ils occupaient. Ce n'est qu'après que l'une des serveuses leur ait apporté leurs boissons chaudes que Janae s'était décidée à répliquer. « Je peux savoir ce qui te faisait penser ça? Vu qu'on en a jamais vraiment discuté... » Leurs 'discussions' se limitaient à des 'bonjour, au revoir, merci' et autres formes de politesse. Elle ne savait presque rien de lui et lui, ne savait presque rien d'elle. Peut-être ne savait-il même rien du tout à son sujet. Au moins, elle était rassurée sur un point, il savait que le même sang coulait dans leurs veines. C'était déjà ça, non? Elle sourit à cette idée et reprit un air sérieux. Ils tournaient autour du pot. A ce rythme-là, ils en avaient pour la journée. Elle avala une gorgée de son café et reposa délicatement le gobelet sur la table. Elle soupira pour la énième fois avant de reprendre la parole. « Ecoute, je sais que je ne ressemble en rien à la sœur que tu souhaitais tant avoir. » 'Ça, tu me l'as bien fait comprendre en m'éloignant de toi ces dernières années', pensa-t-elle. « Je ne t'ai jamais demandé de te mêler de ma vie. J'avais juste besoin de mon grand frère. Je n'étais qu'une enfant qui avait terriblement besoin de savoir pourquoi son frère la reniait. J'ai toujours eu l'impression que tu m'échangerais contre un paquet de cartes si tu le pouvais. Je n'étais qu'une enfant qui avait besoin que son grand frère soit là pour la protéger. » répéta-t-elle. Oh, ce qu'elle détestait faire dans le mélodramatique. Cependant, elle ne pouvait pas être plus claire. Elle voulait qu'elle lui dise ce qu'elle avait sur le cœur? Soit. Mais c'était du passé, elle n'était plus une enfant, elle n'avait plus autant besoin de lui à présent. Alors de quoi voulait-il parler? Voulait-il qu'elle lui parle de son séjour en Californie? Elle en doutait. Alors pourquoi s'acharner à vouloir tout arranger maintenant alors qu'il avait eu l'occasion de le faire quand elle avait encore besoin de lui. Car oui, elle pensait qu'elle n'avait plus besoin de lui, qu'elle n'avait plus besoin de personne pour la protéger - son père était déjà là pour ça. Elle prétendait être une femme forte et indépendante. Que rien ni personne ne pourrait l'atteindre désormais. Elle avait appris à s'imposer, à ne pas se laisser marcher sur les pieds. « Qu'est-ce que tu veux, Ty? Tu ne vas pas me dire que tu m'en veux parce que je ne t'ai pas parlé de mon retour? J'en doute. »

Il était bien trop tôt, bien trop tôt pour que Ty ait affaire à ce genre de confrontations. Il s’était lancé dans une conversation qu’il avait longtemps inconsciemment essayé d’éviter et ce ne fut que lorsque Janae reprit la parole après un long silence qu’il s’en rendit compte. Quelque chose dans sa voix, son ton, son regard peut-être venait de lui ouvrir les yeux sur une vérité à laquelle il ne serait jamais arrivé seul. Son café sous son nez refroidissait et bien qu’il aurait préféré être un peu plus alerte à l’instant, il n’avait plus envie ne serait-ce que de le goûter, son esprit trop occupé à analyser les dernières paroles de sa jeune sœur. A l’entendre parler, on aurait cru qu’elle était persuadée qu’il ne l’aimait pas, pire encore, qu’il la reniait, comme si elle n’existait même pas, comme s’il n’avait jamais eu de sœur, comme s’il ne voulait pas d’elle. Quand est-ce qu’elle s’était faite cette impression ? Était-ce quand il avait pour habitude de lui claquer la porte au nez à dix ans parce qu’il ne voulait pas la faire entrer dans sa chambre ? Ou lorsqu’il faisait mine de ne pas la voir pleurer lorsqu’il passait devant elle pour sortir alors qu'elle n’était qu’adolescente ? Ou peut-être plus récemment lorsqu’il n’avait pas jugé utile de l’appeler pour demander de ses nouvelles en personne après qu’elle eut déménagé en Californie. Mais il n’avait que dix ans, il n’aurait pas su comment la réconforter de toute façon et il se tenait au courant sur les états de sa sœur à travers leurs parents. Ty avait toujours une excuse pour absolument tout lorsqu’il s’agissait de Janae, mais maintenant qu’il devait arrêter de les penser et simplement les lui sortir, il se rendait compte à quel point ça sonnait faux, ça ne s’appelait pas des excuses pour rien, et les siennes étaient plus stupides qu'autre chose. Le jeune homme observa sa sœur un instant, certes elle ne ressemblait pas à la sœur qu’il souhaitait, ou plutôt imaginait pour être exact, mais c’était elle qu’il avait eu, la seule, et il semblait avoir ruiné leur relation. « Je n'étais qu'une enfant qui avait besoin que son grand frère soit là pour la protéger. » Cette dernière phrase semblait résumer la situation –du point de vu de Janae – excellemment bien. Ty souffla. Il la fixait depuis maintenant quelques secondes, muet, et son esprit semblait s’être vidé. Ce qu’il avait pris à la légère toutes ses années semblait avoir eu un impact plus que conséquent sur la jeune fille qu’elle était avant, et rien de ce qu’il puisse dire ne pourrait réparer ce tord désormais. « Je ne te reniais pas. » S’était-il empressé de corriger. Sa voix était très calme, mais c’était plus par consternation qu’autre chose. Il poursuivit après une légère pause. « On n’a peut-être jamais été très proches mais je ne te reniais pas. Jen, on est tellement différents, tu n’as pas idée. Mais ça ne m’empêchais pas de savoir beaucoup de choses sur toi, certaines que j’aurais préféré ne jamais savoir d’ailleurs. » Une nouvelle fois, il s’arrêta pour réfléchir. « Ce que tu aimes manger, ta musique… ce gamin, William qui te tournait toujours autour. J’avais envie de lui briser la nuque mais je ne l’ai pas fait, parce que je croyais que tu ne voulais pas que je me mêle de tes affaires, avec tous tes secrets, et ton silence, on aurait cru que tu voulais évincer tout le monde. Alors je me suis tenu à l’écart. » Il s’était surpris lui-même en se rendant compte qu’il se rappelait toujours du nom de l’ami de Janae, et s’il en avait parlé s’était bien parce qu’il semblait être l’une des rares personnes avec qui elle était proche. Non, ça ne lui avait pas échappé, comme beaucoup de choses ne lui avaient pas échappés. Il savait beaucoup plus sur elle qu’elle sur lui, mais ça c’était une toute autre histoire parce que pour ce qui était de Ty, c’était entièrement voulu, il n’avait jamais aimé mêler sa famille à sa vie personnelle, et si aujourd’hui il ne cédait pas à ses parents, ce n’était pas mieux avant. Janae reprit la parole, lui demandant cette fois-ci ce qu’il voulait, la réalité était que lui-même n’avait aucune idée de ce qu’il recherchait, du moins pas encore. « Je ne t’en veux pas, je veux juste comprendre pourquoi. » Et là était tout le problème, il n’avait aucune idée de pourquoi. Aucune jusqu’à maintenant.

La seule et unique chose qu'elle désirait à ce moment précis était de s'enfuir et mettre fin à cette conversation. Elle qui n'avait cessé de se plaindre quant à l'indifférence de son frère à son égard, n'avait qu'une seule envie: se lever et prendre ses jambes à son cou. Sauf qu'elle savait qu'elle n'en aurait pas le courage et qu'au fond, ils avaient bien besoin de ce petit tête-à-tête. Jamais personne n'avait su lui prêter une oreille attentive - à part son père et William auxquels elle ne pouvait cependant parler de tout. Alors elle avait pris la décision de tout garder pour elle, de rester cette petite fille pleine de mystère et de secrets. Il avait raison sur un point, ça pour être différent, ils étaient différents! « C'est bon à savoir, je présume. Je n'avais personne à qui parler, personne pour m'écouter alors oui, j'avais préféré me renfermer sur moi-même et... » Elle stoppa net. William, ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas entendu ce nom, qu'on ne lui avait pas parlé de lui, elle ne savait pas ce qu'il était devenu. Elle s'en voulait de ne pas avoir cherché à le savoir. Elle baissa la tête et n'osa plus la relever. D'où avait-il bien pu savoir tout ça? La musique et la nourriture, ça ne devait pas être bien difficile. Ils avaient vécu sous le même toit étant jeunes, rien de bien remarquable. « Oh, il était très généreux et attentif, figure-toi. Puis, il ne me tournait pas autour, c'était juste un très très bon ami. Bon, le meilleur ami que... Bref. Ça tient toujours? Je veux dire... Tu crois que tu peux toujours lui briser la nuque si tu le croises un de ces jours? » demanda-t-elle sur le ton de la plaisanterie. On pouvait distinguer un sourire timide se dessiner sur son visage candide. Elle en voulait peut-être à Ty, mais s'il y avait une personne à laquelle elle en voulait davantage, c'était bien William. Certes, il avait toutes les raisons possibles et inimaginables de lui en vouloir - elle allait partir sans aucune explication à lui donner s'il ne s'était pas pointé chez elle le jour de son départ - mais elle ne pensait pas qu'il finirait par couper les ponts. Elle avait même fini par se demander s'il lui était arrivé quelque chose. Elle faillit faire ses bagages et revenir à Philly mais elle se ravisa. Il faut dire qu'elle n'avait pas non plus cherché à le rappeler ou à avoir de ses nouvelles depuis son arrivée à Philadelphie. Elle avait été bien trop occupée à se cacher de tous. « Des choses que tu ne préférais pas savoir? Rien d'embarrassant, j'espère. Je n'ai plus rien à cacher, de toute manière. » Il voulait comprendre. Comprendre quoi au juste? La raison de ton départ? La raison de son retour? Elle était partie parce qu'elle ne supportait plus Philadelphie, elle avait besoin de changement, de simplicité, tout ce qu'elle pensait ne pas pouvoir trouver en restant à Philly. Quant à la raison pour laquelle elle est revenue, elle n'en a aucune idée. Elle commence à se demander si elle n'aurait pas mieux fait de rester là-bas. Car oui, sa vie là-bas était assez plaisante, elle n'avait personne sur le dos et tout semblait plus facile... oui mais au bout d'un moment, la simplicité, ça vous père et vous ressentez le besoin de la fuir. Fuir fuir fuir. Qu'est-ce qu'elle ne ferait pas pour fuir tous ses problèmes. Là, maintenant, tout de suite. Elle donnerait tout. « Je suis partie parce qu'il n'y avait rien pour moi, ici. Toi, tu aidais papa et moi... j'avais besoin de respirer. Tout cet argent jeté par les fenêtres, c'était pas pour moi. Je rêvais d'une vie des plus simples, une vie modeste. Et je t'avoue que maintenant, je ne sais pas pourquoi je suis revenue. Je ne saurais pas te le dire. Pourquoi je ne voulais prévenir personne, en particulier William et toi? Parce que je ne savais pas par où commencer, je savais que j'aurais des explications à vous fournir à un moment ou un autre, et je déteste ça. Avoir à donner des explications. On s'est toujours comportés comme si on se connaissait à peine, toi et moi. Comme des inconnus et William et moi... même situation. Deux inconnus. » conclut-elle un sourire triste affiché sur son visage.

Il ne la connaissait pas, pas du tout en réalité. Ty était arrivé à cette conclusion à la minute où leur conversation avait commencé. Il s’était fait cette idée, aussi fausse soit-elle, de sa sœur, de son caractère, de sa vie, cette vie qu’il avait toujours jugée si simple, si lassante, sans intérêt. Elle était cette fille qui avait tout eut, et pourtant qui n’était jamais satisfaite, voilà ce qu’il avait toujours pensé d’elle. Elle avait une arrogance sans pareille, derrière son visage de jeune adolescente torturée et mal dans sa peau. Pour lui elle semblait égoïste, égoïste de se plaindre alors qu’elle avait tout eut, depuis toujours, elle était libre comme le vent, libre de faire ce que bon lui semblait de sa vie, et lui avait une dynastie à entretenir. Leur père ne lui aurait jamais demandé de prendre les rênes de l’entreprise, pas à elle, pas lorsqu’il était là pour obéir à M. Helgeson, faire tout ce qu’il lui demandait, sans questions, sans contestations. Et Janae était là, à vivre sa vie comme si de rien n’était, pour ensuite oser se plaindre. Enfin pas se plaindre à proprement parler, parce qu’elle ne disait vraiment pas grand-chose, mais c’était justement le problème. Elle aurait pu être celle qu’elle voulait, elle était belle – magnifique même –, intelligente, riche, mais faible, trop faible pour susciter l’intérêt de Ty. Elle l’agaçait. Elle était là la vérité. Ce qu’il avait toujours pensé mais qu’il n’oserait jamais dire. Pourtant au fil des paroles de la jeune fille, il commençait à comprendre, il sentait presque la douleur dans ses yeux, son regard, son sourire. Il commençait à voir les choses de son point de vue, à travers son regard, et c’était mal, très mal. Ty laissa échapper un léger gloussement lorsque Janae se mit à parler de William, elle aurait pu être une étrangère pour lui – et en une certaine manière, elle l’était – mais il aurait quand même vu l’état dans lequel la simple notion de son ancien ami la désarçonnait. Elle avait une vie après tout. Lui qui croyait que c’était juste deux gamins qui jouaient, c’était peut-être plus compliqué que ça, sinon pourquoi s’en souviendrait-elle-même après tout ce temps ? A croire qu’elle ne l’avait jamais oublié. Il ne lui avait peut-être jamais donné de conseil, mais l’occasion venait tout juste de se présenter à lui, et il n’allait pas la rater, pas cette fois-ci. « Je ne suis peut-être pas le mieux placer pour te conseiller en matière d’amour… » Et il ne l’était vraiment, mais alors là vraiment pas. « … mais s’il y a quelque chose que je sais c’est que si un homme est un ‘très très bon ami’ comme tu dis, ce n’est jamais sans arrière-pensées. » il laissa s’installer un très court blanc avant de poursuivre dans un ton bien moins sérieux, un sourire étirant ses lèvres. « Mais oui, je m’en sens toujours capable. Tu n’as qu’un mot à dire et j’irai lui faire sa fête. » Parce que c’était toujours en gamin un peu frêle que Ty le voyait, forcément s’il avait l’occasion de le croiser un jour et de voir par lui-même ce qu’il était devenu, il se raviserait sans doute. Il déposa une nouvelle fois ses deux coudes sur la table, se rapprochant ainsi un peu plus de sa sœur. Il lui trouvait un intérêt soudain très particulier et l’examinait presque avec fierté. Elle était bien plus que ce qu’il croyait. « Jen, l’argent est fait pour être dépensé, sinon je ne lui vois aucune utilité. Tu as eu la chance d’être née dans une famille aisée, et pourtant je ne t’ai jamais vu en profiter, pas une seule fois. Tu devrais te laisser aller. » C’était l’une des choses qu’il n’avait jamais compris à son sujet, elle était tellement … humble, ça ne ressemblait pas à la famille Helgeson. Ty n’étais pas le seul à être dépensier, il n’était pas le premier et ne serait sans doute pas le dernier, ça coulait dans leur sang, c’était presque naturel. « Tu n’as pas besoin de m’expliquer si tu ne le veux pas, et tu n’as pas non plus besoin d’avoir réponse à absolument tout. On peut juste… traîner ici et apprendre à se connaître, vu qu’apparemment on est des inconnus. » Il sourit, légèrement amusé. La situation était peut-être alarmante, compte tenu du fait qu’ils étaient frères et sœurs et que pourtant rien ne semblait les rapprocher, mais il ne voyait pas de raison pour ne pas en faire une blague, c’était la meilleure façon d’amoindrir une telle sévérité et la meilleure façon d’y faire face. « Voyons voir, qu’est ce que je pourrais bien te dire sur moi… » Mine de réfléchir, Ty s’appuya sur le dossier de la chaise, une main toujours posée sur la table tandis que l’autre tombait à sa jambe. Il resta ainsi quelques secondes avant de reprendre, dans un faux air d’illumination. « Je viens d’acheter une nouvelle voiture et... j’ai récemment rompu avec ma petite amie. » Bon, peut-être que la dernière annonce manquait un peu de gravité, parce que certes, cette séparation le troublait toujours un peu, mais ce n’était pas si grave que ça après tout.